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Le soir du 23 décembre 1933, le Paris - Strasbourg percute le Paris - Nancy parti avant lui. Le bilan est très lourd, de 204 à 230 tués suivant les sources et plusieurs centaines de blessés. Il s'agit du deuxième plus grave accident ferroviaire en France après celui de Saint-Michel-de-Maurienne en Savoie (435 morts) en 1917.

par Christian Brigot et Joël Castel

 

Samedi 23 décembre 1933, les Parisiens, voulant passer les fêtes de fin d'année en famille, se précipitent à la gare de l'Est pour prendre un des nombreux trains en partance. Pour pallier le manque de matériel, la direction décide d'utiliser de vieux trains avec des voitures en bois. Les conditions climatiques ne sont pas très bonnes. Au chantier de l’Ourcq, le gel rend indisponibles certains matériels et le brouillard ralentit les manœuvres. Les retards sur la ligne s'accumulent jusqu’à plus de deux heures sur certains trains.ligne

À 19h22, Le train n° 55 Paris - Nancy peut enfin quitter la gare de l’Est avec un retard de 1h30. Il dépasse la gare de Vaires et arrive au lieu-dit Le pont Chauveau où prend fin la section à quatre voies. Les feux électriques du bloc automatique lumineux (BAL) sont situés, à l’époque, au niveau de Pomponne. Le train se retrouve arrêté devant les damiers d'annonce et le sémaphore fermés protégeant la manœuvre d’un omnibus en cours de garage sur l'évitement de Pomponne.

 

L’accident

 

Vers 19h50, une fois la voie libérée, le mécanicien redémarre. Survient, alors, le train Paris - Strasbourg, retardé lui-aussi, circulant neuf minutes après le train n° 55. Il s'encastre, à grande vitesse, dans le fourgon et les quatre voitures de queue dont les caisses en bois sont totalement broyées. Pour la machine tamponneuse, une 241-017 (appelée par la suite la charcutière par les cheminots), seuls son fourgon et deux voitures de tête ont déraillé et sont quasiment intacts. Avec la violence du choc, les rails sont arrachés et tordus.

Rapidement, un cheminot du Paris - Strasbourg prévient la Compagnie des chemins de fer pour stopper le trafic avant d’aller porter secours aux victimes tout comme des passagers. Il fait nuit noire à cause du brouillard et seules des petites lampes à l’acétylène permettent d’entrevoir le sinistre. Les secours peinent à arriver. Les gendarmes, déjà sur place, réquisitionnent des voitures pour évacuer les premières victimes. Des feux sont allumés avec les débris en bois des voitures du train écrasé. Des restes humains et divers matériaux s’étendent sur 700 m. Des passagers ont été éjectés avec force, sur les talus et un grillage aux abords des voies. Le lieu de l’accident oblige les brancardiers à emprunter un chemin empierré, puis à traverser un champ labouré. Après plusieurs heures passées sur place par une température négative, les blessés les plus graves sont envoyés dans les hôpitaux de Meaux, Lagny, Chelles et Paris qui sont vite débordés. Les blessés les moins graves sont soignés chez des habitants de Pomponne et de Lagny.

Extrait d'un long article paru dans le journal parisien Le Matin n° 18176 (24 décembre 1933)

...
Le train tamponné a complètement disparu sous le rapide tamponneur. Des feux de bois allumés par les premiers sauveteurs jettent sur l'affreux spectacle une sinistre lueur. Abandonnés sur le ballast, jetés pêle-mêle même, sur la terre durcie, une longue file de cadavres jaillit de l'ombre : cinquante-deux ici, vingt-cinq plus loin, vingt encore ailleurs, sanglants et atrocement mutilés.
En contre-bas, dans un champ, des civières supportent des blessés silencieux, auprès desquels des sauveteurs prodiguent, à défaut de soins impossibles, de vains encouragements. Vingt d'entre eux sont affreusement mutilés et quatre-vingts autres, plus ou moins grièvement atteints, auraient été dénombrés.

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Les rescapés errent de groupe en groupe sans savoir où se diriger et, quand on les interroge, ils ne répondent même pas. Une immense stupeur s'étend sur la plaine entière. On est comme écrasé' par la désolation. Les sauveteurs ont des gestes d'automate et leurs figures se crispent en un masque tragique.
...

241 017 lhumaVers 3 heures du matin, deux énormes grues de 15 tonnes sont positionnées pour l'opération de déblaiement des deux trains. Deux phares puissants sont installés et dévoilent alors la réalité : une vision d’horreur. Le passage de la locomotive sur les voitures du Paris - Nancy a déchiqueté les corps des voyageurs. S’ajoute à ce drame insupportable, une odeur putride. Le lendemain, les corps sont amenés dans les sous-sols de la gare de l'Est dans une chapelle ardente où vient se recueillir le président de la République, Albert Lebrun. Toutes les victimes se trouvaient dans les voitures de l'express de Nancy. Parmi les morts, figuraient notamment deux députés regagnant leur circonscription pour Noël : Henri Rollin, maire de Saint-Dizier, et Victor Schleiter, maire de Verdun, ainsi que le maire de Vesoul, Paul Morel, ancien député et plusieurs fois sous-secrétaire d'État pendant la IIIe République. Toute la France est bouleversée par cette tragédie qui a anéanti de nombreuses familles. Beaucoup de journaux parisiens et provinciaux relatent l'accident dans de nombreux articles.

gruesrestes

 

À qui la faute ?

 

daubignyTrès tôt, le lendemain de la catastrophe, M. Reboul, juge d'instruction du parquet de Meaux, prend la décision d'arrêter le chauffeur, Henri Charpentier, et le mécanicien, Lucien Daubigny, du Paris - Strasbourg et les inculpent d'homicide par imprudence et de blessures ayant occasionné la mort. Ils sont entendus par M. Albucher, le procureur de la République. Ils soutiennent que tous les signaux étaient ouverts et que le freinage d'urgence a été déclenché en voyant les deux feux rouges du fourgon de queue, malgré le brouillard.

Daubigny a 22 ans de service à la Compagnie des chemins de fer de l'Est, sans défaillance. Charpentier est employé à la Compagnie depuis 9 ans et a donné toute satisfaction à ses chefs. Ils habitent tous les deux Paris et font équipe depuis 4 ans. Vers 8h30, ils sont conduits, en automobile, à la prison de Meaux où ils sont placés aux arrêts. Devant l'émotion de l’opinion publique et les protestations des cheminots, ils sont remis en liberté quatre jours après, mais restent toujours inculpés d'homicide involontaire.

Pendant le procès, les débats vont porter sur trois points cruciaux conditionnant d'éventuelles responsabilités : problème de signalisation, insuffisances dans la répétition des signaux, les conditions atmosphériques.

La signalisation

Le 1er août 1930, un nouveau code de signalisation, le code Verlant, du nom de l'ingénieur (Eugène Verlant) présidant la commission inter-réseaux constituée en mai 1926, fut homologué. Il adoptait l'utilisation de signaux lumineux basés sur trois couleurs : vert pour la voie libre, le jaune pour l’avertissement ou le ralentissement et le rouge pour l'arrêt. Toutefois, les réseaux étaient autorisés à étaler, sur une période de trois à cinq ans, les transformations nécessaires.

Ce changement de signalisation n'avait pas encore été effectué par la compagnie de l'Est au-delà de Vaires en raison de la signalisation préexistante (signaux de type allemand). Les signaux du bloc automatique, constitués depuis Paris par des cibles à feux électriques, étaient remplacés par des sémaphores à palette annoncés par des panneaux en tôle. Ces installations étaient rendues visibles de nuit au moyen de verres teintés éclairés par des lanternes à pétrole. Cette signalisation avait-elle bien fonctionné ?

dessinLe journal l’Humanité a publié un article qui contenait un schéma des installations à l’endroit de l’accident. La légende précisait :

« A remarquer que sur ce parcours de 4 kms environ, il n’y a que deux voies. Le premier panneau lumineux (à gauche sur le schéma) ne s’est pas FERMÉ derrière le train 25 bis (le tamponneur), comme il devait le faire. Le train 25 bis a rencontré ensuite (en suivant le schéma) le premier sémaphore, le premier damier monté en carré, les deux damiers montés sur pointe et le deuxième sémaphore qui précédait le train 55, QUI TOUS INDIQUAIENT VOIE LIBRE. C’est ce dernier sémaphore qui s’est fermé SOUS LA QUEUE DU TRAIN 25 BIS ET QUI A PROVOQUÉ L’EXPLOSION DE LA CARTOUCHE DU DÉTONATEUR. Quelques secondes après, c’était la catastrophe. ».

L’Humanité n° 12797 (27 décembre 1933) - gallica.bnf.fr
Texte retranscrit intégralement

 

La répétition des signaux

Depuis la fin des années 1910, les réseaux avaient, sur demande de l'État, installé sur leurs principales lignes, des équipements qui doublaient les signaux optiques par des indications acoustiques. Un dispositif appelé crocodile est posé entre les rails. Quand la brosse métallique fixée sous la machine, vient au contact, un avertissement sonore est envoyé en cabine et des informations sont notées sur la bande de l'indicateur-enregistreur de vitesse de type Flaman. Pour compléter le système, un mécanisme fait exploser des pétards sous les roues des machines franchissant un signal d'arrêt.

L'analyse de la bande révèle que les données relatives à la signalisation n'ont pas été transcrites. L'équipe de conduite affirme n'avoir entendu aucun signal sonore. Il semble donc probable que la répétition des signaux sur la machine n'a pas été effectuée. Le dispositif d'urgence pose également question. Le garde-barrière d'un passage à niveau situé à proximité confirme que les pétards ont bien explosé. Mais cela s’est passé au niveau du wagon-restaurant situé en queue du train, selon les témoignages de ses occupants, et non au passage de la locomotive.

Les conditions atmosphériques

Le jour de la catastrophe, la température ne dépasse pas les -5°. La formation de givre peut perturber la circulation des courants électriques entre les crocodiles et les machines. Pour l’éviter, on utilise le « pétrolage ». On intercale, entre la feuille de cuivre et la pièce de bois, un feutre imbibé de pétrole, le tout étant fixé par des vis munies de canaux par lesquels le pétrole suinte sur la surface du crocodile.
Mais, la compagnie de l'Est a décidé, à titre expérimental, d’abandonner cette technique à compter du 1er octobre 1933. Pendant le procès, l'ingénieur en chef du contrôle, admet que « sur certains crocodiles, il y avait ce jour-là jusqu'à trois millimètres de givre, ce qui empêchait tout courant ».

 

Le procès

 

À la clôture de l'instruction, le chauffeur, Henri Charpentier, qui n'était pas chargé de la surveillance des signaux, bénéficie d'un non-lieu. Le mécanicien, Lucien Daubigny, est considéré comme seul responsable de la catastrophe pour avoir à la fois violé la signalisation et maintenu une vitesse excessive dans des conditions atmosphériques défavorables. Il est déféré devant le tribunal correctionnel de Meaux. Par la suite, un ophtalmologue examine Charpentier et constate le daltonisme de son patient.proces

Le procès se déroule sur trois jours (19-21 décembre 1934). Des experts mandatés par la compagnie et les ingénieurs affirment que la cause de l’accident est de la seule faute du mécanicien qui n'a pas observé les signaux fermés, soit par inattention, soit par suite d'une vitesse excessive dans le brouillard. Le mécanicien et son chauffeur soutiennent qu’ils ont perçu, malgré le brouillard, une suite de feux blancs leur donnant la voie libre. Des témoins, parmi lesquels des mécaniciens et des techniciens viennent conforter cette version en faisant état de cas antérieurs de dysfonctionnement de ces automatismes. Pour le procureur de la République, Gaston Albucher, les signaux semblaient être bien fermés. Au vu des incertitudes subsistant à l'issue du procès, il prononce un réquisitoire modéré et déclare qu'« en présence de deux thèses inconciliables, si vous suivez Daubigny ou si vous avez le moindre doute, vous acquitterez. ».

Le jugement est rendu le 24 janvier 1935. Le tribunal correctionnel dit : « qu’il subsiste un doute en ce qui concerne le fonctionnement des signaux au passage du train 55, que ce doute, l’inculpé doit en bénéficier, que la vitesse du convoi de Daubigny n'a pas dépassé celle fixée par le tracé, qu’il n'existe pas de consigne spéciale en cas de brouillard ; que si le prévenu, comme il l'a affirmé, a vu tous les signaux ouverts sur son parcours, rien ne l’obligeait à réduire sa vitesse et qu'il n’a pas été suffisamment démontré qu'il les a trouvés fermés. ». Par ces motifs, le tribunal prononce l'acquittement de Daubigny et, par voie de conséquence, il met hors de cause la Compagnie de l'Est, assignée comme civilement responsable.

 

Les suites

 

La catastrophe a particulièrement mis en lumière trois causes : les défauts de la signalisation, le danger des voitures en bois et les insuffisances dans l'organisation des secours. Toutefois, il n'en résultera pas de réformes substantielles. Ainsi, des voitures en bois furent encore utilisées jusqu’en 1962 par la SNCF. C'est sur la signalisation que l'impact de l'accident produit le plus de conséquences, en contribuant à hâter l'utilisation du code Verlant. Le changement complet ne fut effectif que fin 1936, sauf sur le réseau d'Alsace-Lorraine où il fut achevé plus tard en raison du caractère très particulier de la signalisation préexistante (signaux de type allemand).

Pour la petite histoire, tous les Noël, l’Avenir Musical de Vaires et Brou, ancien nom de l’Orchestre d’Harmonie de Vaires et des Cheminots, organisait une tombola. De nombreux musiciens, dont son président Charles Léon, étaient employés de la compagnie de l’Est et ont été réquisitionnés pour intervenir sur les lieux de l’accident. Ce 24 décembre 1933, la tombola a été annulée. Le tirage au sort des lots n’eut lieu que le 7 janvier 1934 suivi d’un concert au café des progrès de Vaires en hommage aux victimes.

 

Sources

  • Gallica.bnf.fr
  • Photos de l'agence Meurisse sur gallica.bnf.fr
  • Articles de Libération (contre rendu du procès)
  • Recherche de Christophe Borgnon chargé de recherches, historien – Société Archéologique et Historique de Chelles
  • Histoire de l’harmonie de Vaires et des Cheminots